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Directives anticipées : La mort est notre affaire


Article paru dans le N°24 - Avril 2020


Pour éviter des situations tragiques comme celle de Vincent Lambert, mieux vaut réfléchir à sa fin de vie pour choisir soi-même de jouer les prolongations... ou pas. Depuis 2005, c'est légalement possible.


« Ce n'est rien de mourir, c'est affreux de ne pas vivre », écrivait Victor Hugo. Pourtant, grâce aux progrès de la médecine, notre vie hésite parfois à s'échapper. Dès lors, la question éthique du prolongement des traitements des malades ou des accidentés est soulevée.


« Assister à l'agonie d'un proche est insupportable, je ne veux pas imposer ça à mes enfants », confie Yvonne, 89 ans, atteinte d'un cancer. Avec l'aide de sa fille, elle a laissé ses directives anticipées, un document écrit, daté et signé, utile voire indispensable lorsqu'il nous est impossible d'exprimer nos volontés quant aux soins médicaux que l'on veut - ou ne veut pas - recevoir, après une maladie grave ou un accident, par exemple. Accessibles aux majeurs bien portants ou non, ces directives sont valables sans limite dans le temps et elles peuvent être modifiées à tout moment, la dernière version faisant foi. Nées de la loi de 2005 relative aux droits des malades, elles ont été renforcées en 2016 - loi Claeys-Leonetti - suite à l'affaire Vincent Lambert.


Depuis plus de dix ans, le débat sur la fin de vie est orienté par le cas de cet ancien infirmier plongé dans un état végétatif chronique après un accident de voiture en 2008, jusqu'à l'arrêt définitif des soins provoquant sa mort en juillet 2019. Un feuilleton juridico-médical marqué par le déchirement de sa famille : sa femme réclamait l'arrêt des soins, ses parents, catholiques fervents, exigeaient leur maintien. « Cette affaire est emblématique : elle nous force à penser notre propre mort », analyse Jean Leonetti, ancien cardiologue et président de la mission parlementaire sur l'accompagnement de la fin de vie, à l'origine de la loi qui porte son nom.


Pas d’acharnement


Mais c'est après un autre fait divers que survient la loi de 2005 : Vincent Humbert, un jeune pompier est devenu tétraplégique après un accident de voiture en 2000. Aveugle, muet mais lucide. Son état est irréversible. Dans une lettre rédigée avec l'aide de sa mère, il implore alors le Président Chirac : « Je vous demande le droit de mourir. » Jacques Chirac lui répondra qu'il ne peut pas l'aider, car il « n'en a pas le droit ». Alors, pour « alléger ses souffrances », sa mère et son médecin lui administrent du potassium. Ils seront tous deux mis en examen pour « empoisonnement avec préméditation ». Assumant leur acte, ils provoquent un débat éthique et législatif sur le thème de l'euthanasie. L'instruction se conclura par un non-lieu général. En avril 2005, un « droit à laisser mourir » est voté par le parlement français. Puis en 2015, la loi Claeys-Leonetti interdit l'acharnement thérapeutique, précisant que l'arrêt des soins — dont l'alimentation et l'hydratation — est autorisé quand ils apparaissent inutiles. Comprendre, quand l'état du patient est irrémissible.


« Le médecin est légalement tenu de prendre en compte les directives », rappelle Jean Leonetti. Deux modèles sont proposés sur le site service-public.fr : un pour les malades en fin de vie, l'autre pour les bien portants. On peut aussi s'exprimer sur papier libre mais le document officiel « évite les confusions », commente-t-il. D'autant qu'un champ est prévu pour les souhaits autres que médicaux : « Vouloir mourir chez soi plutôt qu'à l'hôpital, exiger la présence d'un prêtre... », détaille Olivier Mermet, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) et médecin généraliste. En revanche, seules les directives médicales sont respectées par les médecins.


La loi permet en outre de désigner une personne de confiance qui cosignera vos directives et pourra vous assister dans vos démarches. « En 2005, on recueillait des avis de proches, aujourd'hui, on parle de témoignages, ce qui n'a pas la même valeur juridique », précise Jean Leonetti. Il recommande fortement de désigner cette personne de confiance, « qui devra attester que vous êtes bien l'auteur de vos directives et confirmer que vous étiez conscient au moment de la rédaction ». En l'absence de directives, l'avis de ce témoin sera privilégié. Autrement, les décisions médicales reviennent à la famille ou aux proches. Elles doivent par ailleurs être laissées dans un endroit aisément accessible, auprès du médecin ou de cette même personne de confiance, par exemple.

La sédation de la discorde


Après réunion collégiale, les praticiens décident si les directives seront suivies. « Pour les maladies graves, nous vérifions qu'il n'existe pas de nouveaux traitements depuis leur rédaction », explique le Dr Olivier Mermet. En général, quand l'état du malade n'est pas irréversible, les directives sont écartées. « En cas de coma éthylique, le patient est ranimé. Il y a d'abord le temps de l'urgence, car le doute profite toujours à la vie », poursuit-il. Quand les directives ne sont pas respectées, « la décision est validée par un confrère puis inscrite au dossier médical ». Un détail essentiel pour le père Brice de Malherbe, codirecteur du département éthique biomédicale du pôle de recherche du Collège des Bernardins : « Le médecin doit pouvoir ajuster la demande à la situation. Parfois, revoir la posologie d'antalgiques peut suffire à éviter la sédation profonde. »


Depuis 2015, l'équipe médicale peut administrer des sédatifs à un patient en phase terminale ou en souffrance extrême, pour l'endormir jusqu'à sa mort. « Vu mon âge avancé, je ne survivrais pas à l'opération d'un cancer, selon mon médecin. Il ne me reste pas dix ans à vivre, alors pourquoi s'acharner », confie Yvonne. Certes, « la priorité du médecin, c'est de garder le patient en vie mais aussi de refuser de le maintenir dans un état de souffrance », défend le Dr Olivier Mermet. Mais pour L'Église, la sédation ne doit être « prescrite qu'en dernier recours, après avoir constaté que la souffrance est réfractaire à tout autre traitement » selon une déclaration de 2015 du groupe de travail de la Conférence des évêques de France.


« L'Église rejette l'obstination déraisonnable depuis les années 1990 », insiste le père Malherbe. Mais dans cette loi, « les choses ne sont pas très claires, surtout la notion du maintien en vie. Tant que le cerveau fonctionne, le patient n'est pas mort ». Certaines rémission sont possibles d'après lui. « J'ai l'exemple d'un couple dont la fille a eu un accident de voiture et qui pensait qu'elle ne s'en sortirait pas ». Un argument irrecevable pour Jean Leonetti : « Les miracles existaient avant l'IRM. Aujourd'hui, on sait s'il s'agit un oedème au cerveau, qui finit par disparaître, ou si les cellule sont détruites. En cas de délabrement, le cerveau ne se régénère pas. »


« La priorité du médecin, c'est de garder le patient en vie mais aussi de refuser de le maintenir dans un état de souffrance. » Dr Olivier Mermet, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs.

C’est mon choix


Soit, mais l'alimentation l'hydratation « ne devraient pas être considérées comme des soins. Ce sont des besoins naturels », s’indigne l'homme de foi. « On ne se posait pas toute ces questions avant la mise en place de l'alimentation artificielle, objecte Jean Leonetti. Nous laissions la mort faire son travail. Les moyens modernes permettent de vivre des dizaines d'années de manière artificielle sans pour autant être conscient. Ces malades ne ressentent pas la douleur et ne meurent donc pas de soif, comme certains l'affirment. » Mais pour Brice de Malherbe, les notions de conscience et de douleur sont « difficiles à percevoir : soit on est en vie, soit on est mort cette idée dérange le prêtre que je suis ». Il concède que ces questions sont extrêmement délicates pour les médecins : « Pour les réanimations comment savoir quand arrêter d'insister ? ».


« S'il avait déposé ses directives, il n'y aurait pas eu d'affaire Vincent Lambert », affirme Jean Leonetti. Mais, même si leur validité est d’emblée présumée, « on peut toujours tout contester », avertit Noémie Houchet-Tran, avocate spécialisée en droit international des familles. « Il ne faut pas les remplir seul. En fin de vie, le médecin doit nous expliquer ce qui peut nous attendre », suggère le Dr Olivier Mermet. En cas de détresse respiratoire par exemple, «la personne doit savoir ce que peut entraîner la respiration assistée, afin de peser le pour et le contre ».


Le père Brice de Malherbe va plus loin. Il estime que les directives anticipées ne sont utiles qu'en fin de vie et seulement si elles ouvrent le dialogue avec le généraliste : « Elles ne remplaceront jamais l'avis des proches ou bien de la personne de confiance, qui doit être privilégié. » Hors de question pour Francine, 96 ans, atteinte de Parkinson : « Je ne leur demande pas leur avis sur mes directives, c'est mon choix et je refuse de vivre alitée ! »

Cachez ces morts…


Alors, doit-on pouvoir choisir sa fin ?

En France, contrairement à la Suisse ou la Belgique, l'euthanasie et le suicide assisté sont interdits « et ne seront jamais autorisés. Il y a une différence déontologique entre soulager la douleur et promouvoir la mort pour la donner volontairement. Le médecin devrait le porter sur la conscience », justifie le président de la Sfap. Pourtant, 96 % des Français seraient favorables à l'euthanasie, selon un sondage Ipsos d'avril 2019. Francine n'a pas peur des mots : « L'euthanasie se pratique depuis toujours, dans la plus grande discrétion. Tant que l'entourage ne se sent pas coupable... » L'avocate Noémie Houchet-Tran confirme : « Ma Grand-mère s'est même débranchée toute seule ! Conscients ou non, si les gens souffrent, pourquoi les maintenir en vie ? » Le père Malherbe, lui, crie a la dérive et estime qu'il « faut distinguer la souffrance psychologique de la douleur physique ».


Pourtant, seulement 13 % de Français ont déposé leurs directives anticipées, selon un sondage du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie de 2019. « Certains politiques souhaiteraient les rendre obligatoires. Pourquoi vouloir renvoyer les gens vers leur finitude ? », s'interroge Jean Leonetti. Dans notre société, la mort est taboue. « Il faut la cacher à tout prix, alors on range les malades dans les hôpitaux. On ne porte même plus le deuil », poursuit-il. Pour le père Malherbe, la peur que ne sonne l'heure blême est accentuée « quand on ne croit pas à la vie après la mort : alors tout s'arrête ». Francine, elle, attend calmement la Faucheuse : « Je préfère l'affronter avec courage. Si on respecte la vie, on respecte la mort. » Antoine de Saint-Exupéry, qui disait que « ce qui donne du sens à la vie donne du sens à la mort », n'aurait pas renié cette formule.

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