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Bobigny : “Je crois sincèrement en cette ville”

Bobigny détient le triste record du taux de chômage francilien : 16% selon l’INSEE. Pour inciter à la création d’entreprise, la Ville organisait un forum jeudi 7 décembre : Réussir en banlieue. Grâce à la Ville, de nombreux jeunes entrepreneurs ont pu lancer leurs projets. Deux d’entre eux échangent leurs points de vue.


Deux jeunes entrepreneurs d’une trentaine d’années, entendent montrer une autre réalité de Bobigny, loin des clichés sur la banlieue. La commune soutient ses talents et souhaite les voir s’épanouïr. Jonathan Kirschstetter, a créé Sodade de Paris, une marque de vêtement recyclant des chutes de tissus de luxe. Marion Rosini, a pu monter en famille une fonderie de bronze traditionnelle, à la cire perdue(*). Pour ces deux jeunes créateurs, rien n’aurait été possible sans la commune, qui multiplie les initiatives pour aider les jeunes talents à se lancer. Jonathan Kirschstetter est un véritable amoureux de la ville, souhaite voir sa transformation, et y “croit sincèrement”. Marion Rosine quant à elle est plus pessimiste : il faut rééduquer la population, lui montrer des secteurs qu’elle ne connaît pas, comme l’art par exemple.


(*) Un procédé de moulage précis, à partir d'un modèle en cire. On y coule le bronze par des conduits, puis la cire est ensuite fondue.


Comment est né votre projet ?


Marion Rosini : Nous sommes une vraie entreprise familiale, il y a mon père, mon frère et moi. Mon père a toujours travaillé dans une fonderie, puis il a ouvert sa propre entreprise en 2001. Je ne suis gérante que depuis 2013, je n’avais pas projeté de travailler ici, je m’étais destinée à un BTS dans le tourisme. Mais, je crois vraiment que nous sommes prédestinés à suivre le chemin du métier familial, surtout dans l’artisanat.


Jonathan Kirschstetter : Vilson et moi sommes en couple. Il travaillait comme styliste sur M6, moi j’étais directeur de création dans une agence de design. Nous avons tous les deux perdu notre emploi à un an d’intervalle. Au chômage, Vilson a commencé à créer des pièces, ce qu’il n’avait pas fait depuis longtemps. Dans la rue les gens l’arrêtaient, intéressés, on lui demandait d’où venaient ses fringues. On s’est dit qu’il y avait un truc à faire. Nous avons ouvert notre boutique en 2015, rue de Maubeuge dans le Xème arrondissement. Mais nos fournisseurs sont toujours à Bobigny, c’est là que nous vivons et que tout est né.


Pourquoi avoir choisi Bobigny ?


J.K : Nous voulions acheter un appartement. Dans les premiers temps, notre atelier était là-bas, notre siège social et notre fournisseur y sont toujours, dans un hangar où tous les tissus dorment. J’avais vu ça sur internet, et tout le concept est parti de là. Nous devons tout à la ville, c’est une vraie caverne d’Ali-Baba ! Je crois sincèrement en Bobigny.


M.R : Pour rassurer nos clients étrangers, être en Ile-de-France était nécessaire. Bobigny est très bien desservie quand ils veulent venir, la A86 passe devant. De plus nous sommes dans la zone industrielle, à l’écart pour ne pas gêner le voisinage, c’est l’avantage de cette ville. Une fonderie génère bruits et odeurs. Enfin, nous vivons dans le XIXème arrondissement de Paris, accolée à Bobigny. Nous y sommes attachés, il faut encourager les zones sensibles.


C’est une ville qui a très mauvaise réputation pourtant...


M.R : C’est une ville triste, il n’y a pas de vie de quartier. On ne peut pas faire venir des clients pour le déjeuner par exemple. C’est vrai qu’il y a un vrai hétéroclisme, mais je ne vais pas emmener le client au Kebab, et ici il n’y a que ça. Les gens ici ne s’intéréssent pas à l’art, mais on ne leur donne pas grand chose non plus. Tout part en ruine, alors que Pantin, juste à côté d’ici, a été entièrement refaite. Il faut arrêter de dire qu’on ne donne aux gens que ce qu’ils veulent, et les ouvrir à autre chose.


J.K : Je ne comprends pas cette réputation. Selon moi la présence du tribunal est en partie responsable de cette situation et des mauvaises fréquentations de la ville. J’ai pour ma part un très bon ressenti sur Bobigny, les gens se disent bonjour sans se connaître, ce n’est pas comme à Paris. La stigmatisation c’est trop simple. La ville évolue vraiment, elle se transforme même en “boboland”. Sa richesse, c’est la mixité sociale. En deux ans, nous n’avons pas vu un seul dealer en bas des tours. Les seuls soucis que nous ayons eu, c’est avec la police. Nous sommes stigmatisés car nous ne ressemblons pas aux autres habitants…


D’après vous, comment expliquer le taux de chômage à Bobigny ?


M.R : C’est un serpent qui se mord la queue. Nous avons besoin de salariés mais nous n’avons pas les moyens. C‘est un métier dangereux, par conséquent les salaires sont en moyenne de 3000 euros. Nous manquons de salariés donc produisons moins et n’avons pas assez de revenus, donc nous ne recrutons pas assez. La Ville devrait nous aider plus, notre métier est en voie de disparition, c’est un savoir-faire qui se perd.


J.K : Le film Tout ce qui brille résume bien la situation. Il n’y a pas de vraie attractivité dans cette ville, les jeunes y habitent, mais ne pensent pas appartenir à ce monde. Il faut transformer Bobigny pour que l’on puisse l’identifier comme “la ville de …”, lui donner une sorte de marque. En somme, comme c’est le cas avec Paris, New York ville des gratte-ciel, ou Argenteuil, ville des impressionnistes.


Et vous, employez-vous des gens de Bobigny ?


M.R : Nous employons cinq corps de métier : mouleur, patineur, cireur, ciseleur et fondeur. Nous sommes huits employés, en tout, pas tous de Bobigny. Le problème, c’est que souvent les gens que nous formons s’en vont ailleurs, dans des fonderies industrielles, ils ne sont pas du milieu de l’art.


J.R : Nous ne pouvons pas. Nous ne nous payons même pas nous-mêmes pour l’instant.


Et des jeunes ?


M.R : Ceux qui ne viennent pas du milieu de l’art ne s’y intéressent pas. Nous avons beaucoup de demandes. Autant des écoles de fonderies industrielles, que d’écoles d’art.

Nous aimerions vraiment recruter des stagiaires, mais il y a une nouvelle loi qui impose un délai de carence entre chaque stagiaires. Nous voulons transmettre le métier, il y a une stagiaire en ce moment.


J.K : Nous avons enfin notre première stagiaire. Nous comptons vraiment aider les jeunes sur le long terme. Nous sommes très touchés qu’à Bobigny certains d’entre eux nous reconnaissent. La diversité des profils est étonnante : des jeunes qui au premier abord ne semblent pas du tout concernés. Nous sommes heureux qu’ils ne se disent pas “il y a eux, les bobos, et nous, nous ne sommes pas du même monde”. Bobigny se transforme pour le mieux.


Qu’est ce qui rend votre travail exceptionnel ?


M.R : Nous sommes l’une des dernières fonderies de bronze traditionnelles. Nous employons la technique de la cire perdue, une méthode ancestrale. Nous reproduisons des oeuvres d’art pour les musées, les amateurs ou les particuliers.


J.K : Nous récupérons les chutes de tissus de marques de luxe chez notre distributeur à Bobigny, et nous leur donnons une seconde vie. Nous ne voulons pas créer en série, mais fabriquer quelques pièces de collection. Le but n’est pas que tout le monde porte nos vêtements, au contraire.


Ce projet aurait-il été possible sans l’aide de la Ville ?


J.K : Non. La mairie organise des permanences dans ses locaux, en collaboration avec l’association internationale Positive Planet, soutenue par Jacques Attali. Pendant la réunion il y avait aussi des plombiers, des libraires... Nous, nous n’avons assisté qu’à une seule réunion : nous avons été immédiatement sollicités pour lancer notre projet. Nous étions paniqués et ne connaissions rien à la création d’entreprise. Ils nous ont aidé à rédiger un business plan et nous ont placé dans un incubateur. Peu de temps après, nous avons reçu un prix de l’association pour nous féliciter de notre démarche écoresponsable.

M.R : Quand nous nous sommes lancés, au début, oui. Nous avons bénéficié de l’Aide aux nouvelles zones franche urbaine, attribuée aux entreprises crées dans les zones dites “sensibles”. Cette aide nous fait bénéficier d’une réduction d’impôt. Nous sommes aussi labellisés Entreprise du Patrimoine Vivant, ce qui assure notre promotion, apporte des financements et aussi une déduction fiscale. Maintenant la Ville ne nous aide plus vraiment. À une minute d’ici, sur le rond point, il y a une statue en bronze, mais la ville n’a même pas fait appel à nous pour la rénovation. Elle nous a demandé de créer des médailles pour la remise de prix du meilleur citoyen. Mais ce n’est pas suffisant, notre métier est en voie de disparition, c’est un savoir-faire qui se perd.

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