top of page

Les centurions : bravoure et discipline


Durant mille siècles, l’armée romaine évolue en s’inspirant des techniques de ses adversaires. Aujourd’hui encore, a légion romaine est considérée comme une élite. Mais son rayonnement aurait été impossible sans les centurions. Leur bravoure, combativité et connaissance du terrain en font des ennemis redoutables. Dédiant leur vie à défendre Rome des invasions et à étendre successivement son pouvoir, ils sont source d’inspiration pour les soldats. Veillant à la discipline et à l’entraînement, ils rendent les troupes presque invincibles.


Aux armes citoyens

Tous les chemins mènent à la légion romaine. VIIIe siècle av. J.-C : Romulus tue son frère Remus. Sur les hauteurs du mont Palatin, il fonde Rome et en devient le premier roi. La population est divisée en 3000 pedites (fantassins) et 300 esquites (cavaliers) : la première légion militaire romaine est créée. 510 av. J.-C. : la Res Publica – République - s’installe. Cincinnatus, consul depuis - 460, réorganise la légion. Constitué au moment du recensement annuel, le corps civique est réparti en 40 centuries, (ndlr : centurie vient de terme “cens”, soit recensement). Chacune est composée de cent hommes, répondant aux ordres d’un centurion.

Arrivé au pouvoir en - 446 av. J.-C., le dictateur Marcus Furius Camillus – Camille – réforme l’armée, améliorant notamment l’armement des soldats : casque en métal, bouclier renforcé, javelot à utiliser même dans les combats au corps à corps. En cette période de l’année, les saules rougissant qui courent le pays, augurent l’arrivée d’octobre et avec lui, la levée annuelle des troupes. Sauf urgence, on ne combat pas avant mars, mois du dieu de la guerre éponyme (ndlr : tradition maintenue jusqu’au XVIIe siècle).


Mais les interminables guerres puniques, qui opposent Rome à la civilisation carthaginoise (ndlr : actuelle Tunisie), accentuent les disparités dans les troupes. Car en effet, pendant que les hommes qui retournent au travail agricole retrouvent leurs terrains en friche après une longue absence, pour les plus riches, l’armée n’est qu’une étape dans leur parcours politique. Il faut une nouvelle réforme. Élu consul en 107 av. J.-C., Marius instaure le recrutement sur la base du volontariat.


Nous vous voulons pour l'armée romaine !

Pour unifier les troupes, Marius leur fournit un même équipement, qui ne dépend plus du statut social des soldats. En revanche, c’est à eux de le payer. Qu’ils se rassurent : ils disposent d’une solde, selon leur grade. Un argument convaincant pour prolétaires et paysans, désormais acceptés. Espérant échapper à leur condition, acquérir prestige et fortune, peut-être finiront-ils centurions – plus haut grade à espérer pour ces citoyens non-issus des classes supérieures ?


© Look and Learn / Bridgeman Images
Un Centurion en marche. Illustration tiré de Le Soldat Romain, Amedee Forestier 1928


Voilà l'éclosion des premiers bourgeons. Alors avant le printemps, on commence le dilectus – recrutement annuel. L’an dernier, de nombreux soldats se sont démarqués par leur courage. Mais seuls les soixante plus méritants sont choisis par les tribuns, d’anciens centurions, pour être nommés à ce même titre. Le candidat idéal au poste ? Équilibré, qui ne prend pas de risques inutiles, d’un de sang-froid à toute épreuve, il ne cède jamais à la panique et ne recule pas devant l’ennemi. Il faut être prêt à mourir pour Rome. Chaque candidat en fait d’ailleurs le serment.


Impossible de rater le réveil : le bourdonnement grave des trompettes annonce la levée du jour. Mobilisée en permanence, cette armée professionnelle ne peut se prélasser. La journée démarre par une flopée de saluts : des soldats aux centurions, de ces derniers aux tribuns et de ceux-ci au légat, qui commande la légion. Ensuite, le centurion répartit les tâches quotidiennes. Certains soldats sont envoyés aux tours de garde, aux ponts, ou aux portes du camp permanent où ils vivent. D’autres s’occupent du nettoyage des bâtiments administratifs.


Et ces deux soldats, qui espéraient passer la journée à jouer aux dés, activité préférée des romains ? Zou, le centurion les envoie au terrain d’entraînement, où ils pratiqueront marche à pied, nage, maniement d’armes et manœuvres en unités constituées. Car pour faire partie de l’élite, l’entraînement est intensif et permanent.


En marche !


52 av. J.-C. : nommé dictateur à vie depuis sept ans, Jules César a colonisé toute la Gaule. Mais cet hiver de - 53, les Gaulois profitent de son retour en Italie pour s’insurger. Ce soulèvement est intolérable ! César s’empresse de mettre l’armée en route. D’une rigueur extrême, chaque soldat gagne sa place dans le rang, selon un ordre précis et préétabli. Les equites - cavaliers - marchent devant les soldats : ils donnent l’alerte en cas d’approche ennemie. Suivent les trompettes, puis les pionniers dégagent la route pour l’infanterie, étalée sur six rangs.


Gare aux coups de bâton : chaque centurion veille au grain dans sa cohorte - groupe de 600 hommes composé de trois manipules (ndlr : manipulus, “poignée”. La manipule est une subdivision de la légion romaine antique). Le petit groupe de soldats qui traîne la patte, ne tarde pas à se ramasser un bon coup de vitis - cep de vigne -, ce bâton avec lequel le centurion assoit son autorité et qui représente sa fonction.

25 kilomètres sont parcourus quotidiennement. Le paquetage sur leur épaule réunit armes, objets du quotidien, vivres pour plusieurs jours, gourde et outils nécessaires aux travaux. Le tout pèse 60 livres soit 20 kilos ! Une petite équipe se détache des autres soldats et part à la recherche de l’emplacement pour le camp. Plutôt à proximité d’un point d’eau et de prairies pour le fourrage des chevaux, des bœufs et des 1500 mules. La légion arrive pour monter les remparts. Pas question de se reposer ou de lester son armure : il faut finir avant la nuit. Les soldats lèvent la terre et voilà le centurion qui passe pour vérifier la hauteur et l’inclinaison des remparts avec sa règle de dix pieds. Après quelques coups de vitis perdus et seulement trois heures de travail, le camp est terminé.

© Look and Learn / Bridgeman Image
Plan d'un camp militaire romain, 1922

On hisse les tentes dans l’ordre de la marche. Du coup, pas de flottement en cas d'attaque, chacun connaît sa place. Deux fois plus grande que celle des soldats, la tente du centurion lui sert de bureau pour remplir ses responsabilités administratives et de gestion quotidienne. Les Romains sont des fanatiques de l'administratif : tout ce qui se passe au sein de la centurie est noté, archivé et copié avant d’être transmis aux officiers supérieurs. La nuit tombe sur cette interminable journée. Une partie des légionnaires va se coucher, les autres assurent le premier tour de garde. À minuit, le buccina - trompette - annonce la relève.


Mais que fait cette sentinelle ? Le malheureux s’est endormi. Au matin, le centurion écrit au tribun pour le dénoncer. Le dormeur est condamné à mort. Et qu’il n’essaie pas de fuir devant l'ennemi, ou de mettre ses camarades en danger : il sera décapité. Ici, on ne plaisante pas avec la discipline : les sanctions sont variées et graduées.


À l’assaut !

Aucune décision n’est prise, aucune action n’est remplie sans intervention religieuse. Les Dieux mènent les hommes à leur dessin. Après une série de rites, le cor sonne. L’armée s’avance lentement. À sa tête, le signifer – porte-enseigne – brandit l'aigle impérial, messager de Jupiter. Derrière lui, les centurions sont suivis de près par une masse de boucliers de 200 mètres de long. Les soldats, à peine visibles, attendent le signal de leurs chefs. Ils se rapprochent doucement de l’adversaire, pendant que les centurions estiment la distance et la force de charge. 60 mètres, 45 mètres, 40 mètres… D’un coup, ils crient “Chargez ! Feu !”. Les légionnaires jettent les pila – javelots – qui transpercent les lignes ennemies. Les soldats enchaînent les corps à corps : le choc métallique des boucliers et des épées est assourdissant.


Malgré le désordre, les centuries répètent les gestes qu’elles ont tant pratiqués aux entraînements. La discipline paye. Placé à la droite de son unité, le centurion veille à la sécurité des hommes. En première ligne, il doit jauger l’ensemble pour le diriger d’un seul coup d'œil, tout en continuant à se battre. Quel exemple pour ses hommes ! D’autant qu'il est le plus exposé aux attaques ennemies. Il faut dire qu’il est facilement reconnaissable : la crête transversale qu’il porte sur son casque n’est pas des plus discrètes. Pourtant, elle est bien utile aux soldats pour l’identifier immédiatement dans la mêlée.


De retour à Rome, les vainqueurs sont décorés de médailles, couronnes et bijoux divers. Ils ont même exceptionnellement le droit de traverser Rome jusqu’au temple de Jupiter.


Grève générale !


Trop ambitieux, César est tué par son fils Brutus en 44 av. J.-C. Auguste, son second fils, devient le premier empereur de Rome en - 27. Il veut transformer la noblesse romaine en y apportant du sang neuf. Gagner du grade devient dès lors bien plus simple et être primipile facilement envisageable. Premier centurion, celui qui porte le javelot (ndlr : en latin : Primer Pilus), il est le premier à le lancer dans la bataille. Sa solde est bien plus élevée que celle des centurions : cinquante mille sesterces, comme les préfets de camp ou de cavalerie. Très écouté lors des conseils d’état-major, ce statut est une passerelle vers de meilleures perspectives de carrière : officier subalterne de cavalerie ou préfet du camp. Voire – quelle réussite ! entrer dans la garnison de Rome comme officier.

Bridgeman Images
Carte de l’empire romain à son apogée, lithographie du XIXe siècle.

Est-ce l’ambition qui anime la cruauté de certains centurions ? Lucius est ironiquement surnommé “encore un” par ses soldats. Après leur avoir brisé un cep sur le dos, instrument pourtant solide et donc douloureux, il en réclame systématiquement “encore un”, puis un troisième… 14 apr J.-C : c’est la grève ! Les armées de Pannonie (ndlr : Hongrie actuelle) et de Germanie lancent une révolte. Revendiquant hausse de salaire, abaissement de l’âge de la retraite et amélioration des conditions de travail, dans l'élan, ils tuent le centurion Lucilius.


La chute de l’Empire romain


Qu’il fait bon vivre en ce Ier siècle de Pax Romana - Paix Romaine -. Depuis plus de cent ans, l’Empire est plongé dans la prospérité et l’abondance. L’armée devient défensive, établie sur les limes (ndlr : limites), fortifications aux frontières qui protègent l’Empire des invasions germaines. Aujourd’hui, ce centurion n’ira pas à l’entraînement. Il sort du camp et profite des marchés et tavernes alentour. Ensuite, il va se détendre dans la chaleur des thermes, puis visiter sa femme et ses enfants, logés tout près. Les conquêtes continuent : la Mauritanie sous Claude en 42, la Bretagne sous Néron en 60, les guerres de Trajan en 106 contre les Dace (ndlr : Roumanie actuelle). Le service devient moins attrayant, alors on recrute des barbares, qui disposent d’avantages qui rendent les soldats jaloux.

Bridgeman Images
La bataille d' Ausculum, 279 av. J.-C, Giuseppe Rava, 1963

IIIe siècle : adieu la Pax Romana. L’Empire est en crise : guerres civiles, invasions répétées, épidémies et famines. Au pouvoir depuis 306, Constantin sépare les pouvoirs civils et militaires. Seuls les fils de soldats et les barbares sont recrutés. La cavalerie, formée de mercenaires étrangers, remplace l’infanterie. La pression aux frontières devient continue, menaçant culture et mode de vie romain. Avec l’édit de Milan de 313, autorisant la pratique de la Chrétienté, on oublie Jupiter au profit de Jésus. Ve siècle : les invasions rendent la circulation impossible pour lever les impôts. Et sans argent, pas d’armées...


L’administration, pleine d'héritiers illégitimes et d'usurpateurs, est gangrénée par la corruption. Alors en 410, Rome peine à se défendre contre les Wisigoths qui mettent la ville à sac. Les ruines de l’Empire sont encore fumantes quand les peuples étrangers s'installent . Augustus Romulus, dernier empereur, est contraint à l'exil en 476, causant la chute de l’empire Romain et de son armée. La fidélité des soldats envers Rome fait d’eux de fervents nationalistes. La vie du groupe y vaut bien plus que celle d’un seul homme. Cette unité est façonnée par les centurions qui accompagnent leurs troupes au quotidien et les poussent à se dépasser.


Dans les heures plus sombres de l’histoire, ce nationalisme inspirera le régime nazi des années 1939, qui s’approprie et réinterprété des symboles, comme le salut romain ou l'aigle impériale. Pourtant, aujourd’hui encore, l’unité et l’endurance des légions fascinent. Leurs chefs inspirent des auteurs comme Goscinny, qui les a exportés à travers le monde entier dans Astérix et Obélix. La saga Star Wars est jonchée de références aux grands dirigeants militaires peu scrupuleux de la République et de l’Empire. Sans parler de la récente série Rome. Alors, pas si fous ces romains ?!


Posts récents

Voir tout
bottom of page