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Les croisés : la guerre, pour l’amour de Dieu

Photo du rédacteur: Alexandra EdipAlexandra Edip

Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, 15ème siècle. Wikimédia Commons
Arrivée des Croisés à Constantinople

Entourées de légendes et de mysticisme, les Croisades animent aujourd’hui encore toutes les passions. Les croisés, ces guerriers combattant les non-chrétien, se sont donné pour mission de chasser les “infidèles” de Terre-Sainte et de christianiser en masse. Prêts à mourir pour Jésus, chevaliers, gens du peuple, femmes et enfants s’engagent en croisade. Leur piété, transcendante, les a poussés au-delà de leurs limites physiques et morales.


Dieu leur a donné la foi


Vous croyez en Dieu et en la Jérusalem céleste ? Alors il faut absolument partir en pèlerinage à Jérusalem, que croyez-vous ! Tout bon-chrétien se doit d’aller au Saint-Sépulcre, tombeau du Christ à Jérusalem. Ville sainte parmi les saintes, les trois grandes religions y cohabitent sans trop de soucis. La période des moissons est terminée. Devant une ferme, une mère ne peut se résoudre à dire au revoir à son fils qui s’apprête à partir. Jalouse de ne pouvoir elle aussi faire la route pour le salut de son âme, elle s’inquiète aussi un peu : c’est un voyage de 5000 kilomètres tout de même. Soudain, des cris de foule résonnent sur toute la place de Clermont (ndlr : actuel Clermont-Ferrand) ce 27 novembre 1095 : “Dieu le veut, Dieu le veut”.


La foule répond au pape Urbain II, qui du haut de sa tribune exhorte “chevalier, piétons, riches, pauvres”, à se rendre en Terre-Sainte pour la reprendre aux infidèles. De sombres nouvelles lui sont parvenues de Byzance et de l’empereur - chrétien - Alexis II Comnène, en mars dernier. Jérusalem est envahie par les Turcs Seldjoukide - venus du Turkestan au-delà de la mer Caspienne -. Les pèlerins sont pillés, malmenés ou simplement tués. Condamnés à errer aux portes de la ville sans les moyens de rentrer chez eux, il sont forcés de regarder “ce peuple néfaste” détruire et piller les églises. Le pape est indigné.


Déjà maîtres de la Syrie, de l'Arménie et de toute l'Asie Mineure, les Turcs sont maintenant à la tête de l'Anatolie, de l’autre côté du détroit de Constantinople. S’ils continuent à s’étendre, ils ne tarderont pas à arriver en Occident, menaçant toute la chrétienté. Trop c’est trop, il y a des limites à tendre l’autre joue. Il faut réagir : “Ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le seigneur lui-même !”, clame le pontife. En échange, quiconque s'engagera obtiendra automatiquement son salut, promet-il. À travers toute l’Europe, des prédicateurs répandent la nouvelle : cette guerre sera sans doute la dernière, celle de la fin des temps. Pour preuve, les signes de fin du monde envoyés de Dieu se multiplient : aurores boréales, éclipse lunaire, météorite et même une comète.


L’aventure, c’est l’aventure


Les pays d’Occident regorgent de guerriers redoutables, dont l’entraînement chevaleresque fait la différence sur les champs de bataille. L'empereur Alexis II Comnène le sait, ils sont les seuls à pouvoir protéger Byzance, son territoire. Le pape est quant à lui ravi de pouvoir les réunir pour leur rappeler leurs engagements : protéger l’Église, telle une milice du Christ. Ces derniers temps, l’ennui les a rendus ingérables. Ils s’occupent en terrorisant les populations locales, se battent entre eux.


Chevaliers et barons - qui tiennent leurs fiefs du roi -, ne se font pas prier longtemps. Ils rêvent d’aventures et n’hésitent pas à vendre leurs biens pour pouvoir financer leur départ, prévu le 15 août 1096. Plusieurs groupes et chefs sont désignés : Bohémond Ier, prince normand de Sicile, Étienne de Blois, le duc Robert Ier de Normandie, Raimond de Saint-Gilles et le chevalier le plus puissant qui soit, Godefroy de Bouillon. Ils devront tous se retrouver à Constantinople avant d’atteindre Jérusalem.

Bridgerman
Pierre l’Ermite et la première croisade, James Archer, 19ème siècle

Pendant que les chevaliers préparent leur plan d’attaque, Pierre l'Ermite, ce “fou de Dieu”, prédicateur le plus fervent et charismatique, a réuni au moins quinze mille pèlerins dans son armée. Motivé par un élan de ferveur, chacun a une bonne raison de partir. Des familles entières de paysans se préparent : une aubaine pour fuir les épidémies, la famine et la sécheresse qui les submergent. On envoie aussi les criminels en pénitences. Les avides repensent aux échos venus d’Orient : ces pays regorgent de superbes femmes, de palais luxueux, de magiciens. En somme, ce périple les conduira soit à la vie éternelle, soit à une vie meilleure. Du moins, pour ceux qui survivront à ce long voyage.


Ce ne sont pas (tous) des héros

Urbain II ne s'attendait pas à un tel engouement populaire. Trop impatiente pour attendre le départ des chevaliers en août, cette foule bien étrange prend la route au printemps 1096. La prostituée côtoie le clergé ; l'enfant, le vieillard ; l'opulence, la misère. Quelques cavaliers et chars traînés par des bœufs accompagnent le cortège, mais la majorité est à pied. Ils sont nombreux à n’avoir jamais quitté leurs bourgs et demandent devant chaque château ou ville si, “c’est ici, Jérusalem ?”. Armés de lances et de javelots, ils sont particulièrement indisciplinés et s’en prennent à tout le monde en chemin, - et surtout aux juifs -. Pourquoi aller jusqu’à Jérusalem pour tuer des non-chrétiens ? D’autant que ceux-là sont responsables de la mort du Christ.


Pendant ce temps, la croisade des barons qui franchit le Danube, l’Adriatique, la Grèce enjambe les champs de cadavres laissés par leurs prédécesseurs. Cette croisade populaire n’en fait vraiment qu’à sa tête. Bien qu’ils n’aient aucune expérience guerrière, ils s'attaquent aux Turcs sans attendre l’arrivée des chevaliers. Alors c’est ça les croisés ? Des paysans qui n’ont aucune expérience guerrière ? Arslan Kiliç, sultan seldjoukide et ses hommes ne sont vraiment pas impressionnés. Ils les prennent en embuscades très facilement : c’est un massacre. 3000 croisés seulement s’échappent, femmes et enfants sont épargnés, capturés puis vendus comme esclaves. Le 21 octobre, c’est la fin de la croisade populaire.


Cuirassés de la tête aux pieds, pour les chevaliers les mois de marche se succèdent péniblement. Les armures, qui pèsent une quinzaine de kilos, sont lourdes, insupportables sous la chaleur du désert. Ils traversent Vienne et Belgrade et voilà qu’en avril 1097, émerveillés, ils oublient la fatigue un instant,. « C’est Byzance ! » s'écrient-ils devant les murs de Constantinople. Quelle opulence ! Au loin, ils aperçoivent palais et statues d’or à perte de vue et tous ces animaux si étranges : chameaux, éléphants, menés par des esclaves noirs. Et puis il y la basilique Sainte-Sophie, la belle byzantine, couronnée de sa coupole et couverte de pierres précieuses…


Qu’on leur coupe la tête


Pressons nous, les rangs maigrissent au fil des jours. Certains désertent, d’autres meurent de faim. Novembre 1097 : à Antioche, forteresse Syrienne imprenable, le siège commence. Les cadavres qui s’entassent au rythme des contre-attaques favorisent la propagation de la peste dans les rangs. La faim est obsessionnelle. Tiens, voilà deux espions Turcs dans le camp. Cuisons-les à la broche, ça leur apprendra ! Puis, on ne peut pas manger tous les chevaux…


Trois années difficiles de défaites et de victoires passent. Et le 15 juillet 1099, la voilà enfin, majestueuse : la Terre-Sainte. La ville est retombée aux mains de Fatimides (dynastie chiite ismaélienne) en 1098. Ils ne s’en sont jamais pris aux pèlerins, mais peu importe. Enragés de fatigue, affamés, les croisés ne peuvent plus reculer. 90% de l’effectif de départ est perdu : le siège commence mal. Mais un miracle survient, un signe de Dieu. Deux galères chrétiennes arrivent de Gêne dans le port de Jaffa, transportant matériel de construction et des charpentiers qui viennent mettre les machines de guerre en place.


Ce 13 juillet, l’assaut est donné par surprise. Machines de jet, mangonneaux et trébuchets, envoient des feux grégeois, ces barillets incendiaires. Ils sont dévastateurs sur les machines de guerre ennemies, en bois. Du haut des murs et durant deux jours, les Fatimides projettent pierres, flèches, huile bouillante. Soudain, des brèches s’ouvrent dans le haut des remparts ; la défense musulmane est rompue, les croisés entrent dans Jérusalem.


Jusqu’au matin, ils frappent indistinctement juifs, musulmans, femmes, vieillards, enfants. Les têtes détachées des corps s'amoncellent sur des monceaux de cadavres. C’est une tuerie de masse : Jérusalem est sauvée des impies. Presque naturellement, Godefroy de Bouillon est choisi comme souverain. Pieusement et avec une certaine élégance, il accepte mais “refuse de porter une couronne d’or là où le Christ a porté une couronne d’épines”. Il sera Avoué Du Saint-Sépulcre.


Tout ça pour des prunes


On ne se méfie pas assez de la nourriture exotique. Après seulement un an de règne, Godefroy de Bouillon est mort, empoisonné par un citron. Son fils Baudouin qui lui succède, a bien du mal à défendre les intérêts chrétiens. Sur place, il ne reste qu’une centaine de chevaliers pour lui prêter main forte. La fin du monde n’ayant pas eu lieu, la plupart d’entre eux sont rentrés, rapportant quelques reliques. 1117 : les Turcs sont d’un côté, les Byzantins de l’autre. Pour les pèlerins, les routes sont de moins en moins sûres. Une milice armée est donc créée : l’Ordre des Templiers, chevalerie chargée d’assurer leur protection sur les routes. C’est insuffisant : le 24 décembre 1144, la forteresse frontalière d’Édesse tombe aux mains de Zengi de Mossoul. Une nouvelle croisade s’impose.


Qu’il est ennuyeux ce mariage. Aliénor d’Aquitaine, épouse du roi Louis VII, rêve de voyage, d’Orient et d’exotisme. D’autres femmes ont déjà été en croisade, mais elle veut être la première reine. Le départ en 1147 se fait en grande pompe. Organisé conjointement avec l’empereur Allemand Conrad III, Louis VII embarque avec sa femme, qui emmène avec elle toute une suite : servantes, trouvères, dames de compagnie... En Anatolie, les Allemands sont massacrés par les Turcs. Les Français arrivent, mais la défaite est sanglante. Les deux armées se rassemblent pour essayer de conquérir Damas, mais échouent.


Cette croisade est un échec pour Louis VII. En plus de n'avoir pas pu aller faire son pèlerinage à Jérusalem, pendant le voyage, il apprend que sa femme le trompait. Elle obtient le divorce à leur retour. La seule bonne nouvelle, c’est qu’il a ramené des pruniers de Damas. Tout ça pour des prunes (ndlr : origine de l’expression)…


Qu’il est loin le temps de la première croisade contre les non-chrétiens. Aujourd’hui, l’Église s’en sert comme excuse pour asseoir son autorité, massacrant d'autres chrétiens dissidents vis-à-vis de l'Église romaine. 1207 : la guerre contre les cathares est lancée - la croisade des Albigeois -. Avec ces échecs incessants, ces guerres sont-elles vraiment voulues par Dieu ? Aucune des dernières croisades n’a atteint son but. Et l’Église semble plus soucieuse de ses caisses que de satisfaire le Seigneur. D’ailleurs, on peut maintenant se défaire de ses voeux de croisades, sermon inébranlable prononcé avant de s’engager en les rachetant auprès de l’Église !

Wikimédia Commons
Croisade des albigeois, Chroniques de Saint-Denis

Cent ans se sont écoulés. Les croisades ont entraîné de lourdes pertes humaines et matérielles. Mais voilà que le peuple s’indigne, comme avant la première croisade. Jérusalem est reprise par les musulmans en 1144. Louis IX, dit Saint-Louis, se lance dans la huitième croisade en 1268, la seconde pour lui. Le roi rentre en France en plusieurs morceaux, son corps a été ramené dans des tonneaux pour le conserver au mieux. Car en 1290, il est mort de la peste à Tunis.


Aimer à mourir


Les croisades racontent une histoire d’amour. Celle de deux peuples pour un Dieu et la conduite à adopter pour lui plaire. L’amour aussi d’une terre frôlée par les esprits saints, que sont le Christ et Mahomet. Mais aussi l’histoire d’amour passionnel de deux civilisations, qui malgré le sang et la violence n’ont jamais perdu leur respect mutuel. Les croisades n'ont jamais affecté les échanges commerciaux et culturels entre les deux parties.

Wikimédia Commons
Musiciens européens et islamiques au 13e siècle jouant des instruments à cordes

Les chrétiens ont d’ailleurs ramené de nombreuses pratiques et mots d’orients : des échalotes à la soie, en passant par les échecs. Mais aussi l’usage de mots comme nouba (fanfare), hasard (coup de dé) ou caravane (groupe de touristes). On ne retient aujourd’hui de ces guerres qu’un mouvement de haine et d’éradication raciste. Comme quoi, nous réécrivons bien l’histoire à la lumière de nos préjugés modernes...

La culture populaire a quant à elle glorifié et mystifié les croisés. Les templiers par exemple, qui protégeaient les pèlerins sur la route pour Jérusalem, sont entourés d’une véritable aura. Ils auraient maudit les rois capétiens, cachent un trésor que certains s’entêtent encore à chercher… Dans la saga Indiana Jones, ils sont reliés à la légende du roi Arthur et du Saint-Graal, coupe qui aurait recueilli le sang du Christ et donnerait la vie éternelle. D’autres ont préféré railler le délire religieux de ces hommes prêts à mourir pour leur foi, les tournant au ridicule. Dans leur film satirique Sacré Graal, les Monty Python montrent la barbarie extrême dont ces croisés étaient capables.


Les croisades conservent encore aujourd’hui une allure d'épopée, dans un monde chevaleresque, rempli de princesses et de tournois, qui ont inspiré et continueront d’inspirer certaines des plus grandes histoires de guerre et de romantisme.

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