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Les Vikings : ces barbares mal-aimés


Illustration tirée de La France et les Français à travers le siècle, 1884 (lithographie couleur)  Crédit Photo : Stefano Bianchetti / Bridgeman Images
Rollo et ses hommes assiègent Paris en 885

Des barbares sanguinaires venus sur des drakkars piller et ravager l'Europe : la réputation des Vikings effraie autant qu’elle fascine. Séries télévisées, films ou publicités exploitent cette image, en partie fantasmée et décrite par les moines assaillis. S'ils ont mis le monde à feu et à sang durant trois siècles, les Vikings sont aussi des commerçants rusés, qui ont su exploiter les faiblesses d’un monde politiquement instable…


Fantasmés, légendés, stéréotypés


IX ème siècle de notre ère. Dans cette région qu’on appelle la Scandinavie, regroupant la Norvège, le Danemark et la Suède, une tornade noire se prépare : les Vikings. Sur son passage, elle sèmera la mort et les flammes, mais personne ne sait où, ni quand elle s’abattra. Pendant que le monde entier est sous tension, les bateaux de guerre – langskips – attendent patiemment l’heure du départ. Nous sommes à la mi-juin, période du þing (ndlr : se prononce “thing”), assemblée annuelle où l’on règle les affaires judiciaires et à la fin de laquelle les guerriers prennent la mer. Au printemps suivant, quand ils reviendront de leur long périple, leurs équipages seront riches.


Vous imaginez de robustes barbus, casque à cornes sur la tête, retenant une longue chevelure ? Titans sans âme, crachant et violant les femmes, buvant le sang de leurs victimes, dans leurs crânes – puisque c’est tellement pratique de boire dans un récipient troué... Oubliez ces clichés ! Ici, on trouve avant tout des commerçants, des pêcheurs ou des agriculteurs, dont la plupart n’ont jamais quitté le pays. L’hiver long, froid et obscur, les distances, l'eau et des marécages rendent ces territoires hostiles à des activités lucratives sur place et forcent les habitants à se tourner vers le commerce extérieur. Côtoyant les marchés étrangers qui se tiennent près des abbayes, ces observateurs futés remarquent calices et autres objets de valeurs, trônant là, sans surveillance armée. Pourquoi ne pas les dérober ?


On n’est pas Viking, on va en Viking

Ici, les royaumes sont divisés en districts où vivent les hommes libres, appelés bondì. L’importance de chacun dépend de sa richesse et de l’ancienneté de sa famille. Alors pour évoluer, les fermiers les plus téméraires partiront en Vikings (ndlr : le mot qui désignait l’action de recruter un équipage pour partir en piraterie avant d’être adopté pour désigner le groupe). Les richesses volées sont exposées fièrement. Chacune raconte une aventure où le courage a été récompensé. Tintant à chaque pas sous le poids des bijoux et brassards qu'il arbore, un chef Viking, les yeux peints et vêtu de couleurs vives, tente de recruter des jeunes en leur promettant une part du futur butin.


Ces hommes poursuivent tout de même des activités commerciales. En Russie, depuis le IX ème siècle, les rus (roux), comme les appellent les Slaves, ont fondé Kiev et Novgorod et en font des points commerciaux-clés. L’esclavage, indispensable au quotidien, est au centre de leurs activités. L’attaque près de Dublin en 821 rapporte un grand butin de femmes, marchandise comme une autre, satisfaisant la polygamie des mâles. La plupart des esclaves sont slaves (d’où l’origine du mot) ou d’Orient et vendus sur toute l’aire méditerranéenne, de l’Espagne à l’Égypte. Ceux d’Europe du Nord sont acheminés par la Russie jusqu’à Byzance et Bagdad. Très friands d’ambre et de fourrure scandinave, les nobles, le haut clergé et les riches marchands européens se fournissent également auprès d’eux.


À la mer comme à la mer


C’est le bateau qui fait le Viking. Depuis le VII ème siècle, les Knors – autre nom de leurs navires – sont dotés de voiles, rendant les déplacements plus rapides. De l’Afghanistan au Canada, ils traversent plus de trente-sept pays (ndlr : actuels). À bord, les conditions sont difficiles : l'embarcation n'est pas pontée et ne peut accueillir que 70 hommes, entassés avec les chevaux. Mais ce vaisseau d’une impressionnante technologie, mesurant 24 mètres de large, dominé par un mat démontable de 20 mètres et surmonté d’une figure de proue en tête de dragon – drakka en vieil Islandais, n'affronte pas la lame : il se plie à ses souhaits, tel un serpent.

© Look and Learn / Bridgeman Images
lithographie du 20e siècle (école anglaise). Vaisseau vikings typique, prenant la mer

Pour se repérer, on est attentif au sens des vents, on observe le vol des oiseaux, les déplacements des bancs de poissons. Mais on connaît aussi la tradition orale des anciens sur les itinéraires à suivre. La souplesse avec laquelle surgit hors du brouillard ce bâtiment avant d’accoster, est tout à la fois fascinante et effrayante. La stratégie militaire n’est pas si singulière : son principe repose principalement sur l’effet de surprise. Mais avec ces monuments flottants qui passent n’importe où, rendant la poursuite impossible, les Vikings deviennent imbattables.


Avant de débarquer pour donner l’assaut, les guerriers empoignent leurs armes. De fabrication locale, la hache, de jet ou d'assaut, surmontée d’un fer courbe terminé par deux pointes, est redoutable. La favorite de ces combattants, c'est l’épée dotée d’une lame d’un mètre, à double tranchant. Pour se protéger, on enfile une cotte de mailles, cuirasses de laine ou de cuir et son casque – hjalmr, qui ne porte pas de cornes. Les derniers agrippent leurs boucliers, objet précieux souvent décoré de scènes poétiques, de forme ronde ou rectangulaire avec poignée de cuir. À l’attaque !

La mauvaise réputation


Reconnaissons aux Chrétiens de l’époque leur sens du drame : « Les païens venus du Nord (...) se propagent en tous sens comme des loups très funestes » raconte Alcuin, proche conseiller de Charlemagne, à propos l’un des premiers raids, celui de 810 dans l’abbaye de Lindisfarne, en Angleterre,. En réalité, ce jour-là, ils ne sont que trente-cinq. Mais Alcuin, chargé des Annales royales franques, donne le point de vue du pouvoir carolingien, nullement destiné à être objectif et doit être favorable à l’empire chrétien, en justifiant son impuissance. Qu’à cela ne tienne, l’aura satanique de païens dont s’entourent nos pirates est leur force : terrorisant les populations locales, ils mènent de véritables guerres psychologiques.


D'après le recueil sur la vie de St.Edmund, Bury St Edmunds, vers 1130.  Crédit : The Morgan Library & Museum, New York, USA / Bridgeman Images
Débarquement des Danois en Grande-Bretagne.

Pour maintenir la population en état de crainte et de choc, il faut la mettre en condition de pression permanente. Les attaques doivent donc être rapides et répétées. Déguisés en marchands, ils s’adonnent au sabotage et à l’espionnage : la suspicion et le doute règne au sein des peuples assaillis. Paris, 845 : la ville est assiégée par le célèbre chef viking, Ragnar et ses hommes. Pour insulter le roi, ses généraux et les chrétiens présents, cent onze hommes du roi Charles II le Chauve sont capturés, puis pendus par les Nordiques sur les rives de Seine. Grâce à ces méthodes, le roi de France qui souhaite la paix et leur départ à tout prix, accepte de payer le danegeld, - impôt aux Danois -, soit 7 000 livres d'argent. (ndlr : cela n’empêchera pas les vikings de réattaquer Paris en 856, 861 et 885). Ne répondant pas aux règles de guerres instaurées dans les pays occidentaux, les Scandinaves semblent d’autant plus barbares aux yeux des chrétiens.


On choisit bien le jour des assauts : dimanches, jours de foires ou jours fériés, de préférence à l’heure de l’office, comme à Nantes en 843 ou à Paris en 858. Un lieu isolé, sans fortification et à l’embouchure d’un grand fleuve pour faciliter la fuite – comme à Noirmoutier, près de la Loire, envahi en 836 et qui devient une base pour les opérations. On accoste sans bruit, on débarque les chevaux : quand le silence est rompu, c’est que l’attaque par petites bandes, tel un commando, commence. Rapidement, on récupère les métaux précieux selon le poids. La qualité importe peu, ils seront par la suite hachés pour être pesés, barbarie doublée d'un sacrilège. Une constante : on met le feu, pour faciliter la retraite. Enfin, le butin est partagé selon le rang et l’importance de chacun.


Les femmes, les vraies dominantes ?

Retour en Scandinavie. Proches de la saison de récoltes et loin des neiges d’hiver qui bloquent les routes, les mariages sont fêtés à la mi-juin. Une semaine durant, les époux accomplissent des rites, ponctués de beuveries dont les habitants ont le secret. Une ambiance joyeuse, mais qui n’est en fait qu’une “affaire” – brudkaup : l’achat de la mariée. Les sentiments sont secondaires, l’accord de l’épouse est optionnel. Elle passe de la tutelle de son père à celle de son mari : on s’unit à un homme, à ses terres, à son cheptel et à sa famille.


Illustration d’Histoire des peuples du Nord, œuvre monumentale d’Olaus Magnus sur les pays nordiques, rédigée en latin et imprimée à Rome en 1555.  Crédit Photo : Bridgeman Images
Scène de vie quotidienne viking

Pourtant, elles ont un avantage enviable sur leurs contemporaines chrétiennes : en cas d’impuissance avérée de son mari, d’insultes ou de brimades corporelles, elle peut divorcer (ndlr : autorisé en France seulement en 1789, à la Révolution). La famille a une place centrale dans la culture scandinave, alors depuis l’enfance, la femme accomplit des tâches agricoles pour servir son clan. Adulte, cette femme dont le mari est parti i vikingu -en viking- assure ainsi la bonne marche du domaine durant son absence. Nourriture, ménage, tissage : tout l’équilibre de la maison repose sur elle. C’est pourquoi elle fait autorité une fois le seuil franchi. L’homme lui doit le plus grand respect : il n’est que le bras, à l’extérieur.


Le déclin avant Hollywood

Comme les pays colonisés commencent à manquer de ressources, les Vikings commencent à négocier des terres. Le célèbre Rollon, chef de guerre, se fait ainsi offrir le pays de Caux - future Normandie, littéralement pays des hommes du nord – par le roi Charles le Simple. En revanche, il doit se convertir à la chrétienté et défendre le pays contre les autres groupes vikings. Peu à peu, ils assimilent les cultures. Cette assimilation devient complète quand le roi Harald 1er, réunifie le Danemark en 950 et devient chrétien. Après deux siècles d’invasions, le monde s’est adapté aux attaques. Les Francs, cibles privilégiées, ont pris des mesures défensives. Les remparts légués par l’Empire romain sont remis en état et des ponts fortifiés sont érigés sur les principaux fleuves. Mais les embouchures ne sont pas protégées.


La plupart des sources écrites sur les Vikings viennent des moines francs, principales victimes. Cette vision de la réalité, largement déformée et accentuée par les sagas de fiction perdure depuis des siècles. Que ce soit chez les peintres romantiques du XVIIe siècle, dans les BD d’Astérix ou même via la publicité, cette vision fantasmée semble désormais acceptée. Certes les vikings avaient des méthodes cruelles, mais ils n’étaient pas plus barbares que les Français ou les Anglais. Ce type d’attaques violentes est le standard de l’époque. De plus, il est réducteur d'assimiler toute la population scandinave aux vikings : selon les estimations les plus basses de certains historiens, ils n'étaient que 5%.


On retrouve par ailleurs de nombreuses références à la culture scandinave dans la culture populaire, par exemple dans Le Seigneur des Anneaux – référence aux puissants chefs Vikings qui distribuent des anneaux à leurs clans -, ou les jeux de rôle comme Donjons et Dragons. Ce guerrier scandinave disparu il y a maintenant plus de neuf siècles et demi n’a pas fini de faire courir notre imagination !

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