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Étudiant à Paris en 1160. Une vie rude et festive





En 1160, à la veille de la création de la cathédrale, la cour royale se fixant progressivement à Paris, la cité prospère largement. La rive gauche, devenue un lieu central de la culture, regroupe les grandes écoles. Maîtres illustres et élèves venus de toute la France et d’Europe y cohabitent dans une ambiance festive.


Rive gauche, les habitants bourgeois ont perdu le sommeil. Dans ce quartier qui regroupe les grandes écoles, une population étudiante de plus en plus nombreuse, venue de l’Europe entière, y anime les rues à toute heure. La rive droite, poumon économique, est quant à elle réservée aux marchands qui alimentent la ville par voie fluviale. Fixant progressivement sa capitale à Paris, Louis VII a fait de la ville un grand centre urbain offrant une protection permanente. Émancipant les serfs et les communes, sa présence n’est plus nécessaire sur tout le domaine de France.


« Certains travaillent, d’autres chahutent en un latin haut en couleur (1) », décrit un contemporain. Dans le cloître Notre-Dame, le calme est brusquement rompu par les chants grivois des goliards – ces clercs* itinérants protestant contre les écarts de la royauté et de la noblesse. Les étudiants sont pourtant censés avoir un comportement exemplaire. En chemin pour le premier cours, en traversant le « Chantier », cet espace entre le port l’Évêque (2) et l'Hôtel-Dieux, mieux vaut se faire discret. Dans ce milieu orgueilleux, bagarres et jalousies sont fréquentes entre les intellectuels de différents établissements ou de différentes nations (3).


UNE ÉCOLE D’UN NOUVEAU GENRE

Fuyant l’austérité, la jeunesse n’est plus attirée par les écoles monastiques classiques comme Sainte-Geneviève ou Saint-Victor. Pas plus que par les écoles épiscopales des cathédrales, bien qu’elles offrent la liberté de choisir son maître. C’est là, dans les vignobles qui courent vers la Seine, au flanc de la montagne Sainte-Geneviève**, qu’émergent des écoles « plus ou moins privées (4) ». Dans « une atmosphère de jeunesse et de dynamisme intellectuel (5) », depuis 1140 et sous la supervision de l’abbaye, une vingtaine de maîtres, rétribués par les élèves, y enseignent grammaire et dialectique.

Le premier cours — en latin – a déjà commencé. Assis aux pieds du maître, une dizaine d’élèves écoutent le commentaire du texte du jour, produit par l’atelier des copistes de la bibliothèque Sainte-Geneviève, située au second étage de l’abbaye. Un premier étudiant, qui lui est arrivé à l’heure, échange ensuite avec le professeur : la classe entame alors une « dispute », pratique scolaire devenue obligatoire et systématique. Plume d’oie à la main, les élèves prennent leurs notes sur du parchemin, durable mais cher.


Des internes sont logés par les chanoines dans les abbayes, mais pour les autres la vie peut être rude. La journée de cours terminée, certains mendient leur pain et de quoi acheter leur matériel scolaire. Au milieu du charivari des rues populeuses, l’un d’eux écrit à ses parents qu’il « n’a plus rien à se mettre, manque de liquidité et a mis

ses livres en gage » (6). C’est au milieu de cette effervescence que Maurice de Sully,

élu évêque de Paris depuis septembre 1160, a décidé de faire construire sa grande

cathédrale gothique, Notre-Dame.


Légende :

* Au Moyen Âge, « clerc » désigne une personne lettrée. ** Plusieurs bâtiments ont été conservés pour constituer l'actuel lycée Henri-IV.

(1) Le constructeur de Notre-Dame, Claude des Presles, La Revue des deux mondes, 1990. (2) Devenu aujourd’hui le port de la Concorde, dans le quartier des Champs-Élysées. (3) Les Étudiants et la délinquance au Moyen Âge (XIIIe-xve siècles), Christian Gillon. (4) Tendances actuelles de la recherche sur l’histoire de l’éducation en France au Moyen- Âge (xiie-xve siècles), Jacques Verger, Histoire l'éducation, 1980. (5) Les écoles de la cathédrale de Notre-Dame et le commencement de l'université de Paris, Astrik Ladislas Gabriel, Revue d'histoire de l'Église de France, 1964.

(6) Éducation et cultures du début du XIIe au milieu du xve siècle, Colette Beaune, édition Sedes.


D'après la fresque de François Flameng.
Classe d’élèves de l'école de la montagne Sainte-Geneviève, regroupés autour de Pierre Abélard.

~ L’école de Pierre Abélard,

~ prémisse de l’université


Fondateur de la première école échappant au contrôle quotidien de l'évêque au sein de l’abbaye de Sainte- Geneviève, Pierre Abélard (1079-1142) est l’un des intellectuels les plus connus du xiie siècle. Souhaitant attirer la foule, il ouvre l’école aux laïques. La notoriété de son enseignement concurrence rapidement celle des autres abbayes, réunissant cette jeunesse qui fuit l'austérité. Cet enseignement, libéré du contrôle des ecclésiastiques, préfigurera l'université, qui ne sera officialisée qu’au xiiie siècle. Considéré comme le premier moraliste moderne,sathéorieestfondée surl'intention.«Lajustice pèse, non les actes, mais les intentions », écrit-il. Ce principe fondamental est aujourd'hui transcrit dans le droit français sous la forme suivante: « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »



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