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L’ouvrier-maçon. Entre tradition et savoir faire secrets


Image tirée du livre Les faits des Romains, XIIIe siècle, montrant des ouvriers en train de bâtir un édifice.


Monter les murs, les charpentes, asseoir la pierre, forger : les ouvriers-maçons du !""e siècle sont répartis par compétences au sein de groupes très liés.Ils suivent leur formation auprès des premiers bâtisseurs de la cathédrale, qui transmettent jalousement leur savoir-faire. Ainsi, l’avancée rapide des travaux de Notre-Dame de Paris permet dès 1190 la construction des deux dernières travées de la nef et l’édification de la façade.


Dernier jour d’apprentissage en tant qu’ouvrier-maçon, après six ans de travail acharné. Il faut emboîter le pas au maître qui a déjà quitté la maison où il loge certains de ses élèves et le rejoindre sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame. Charpentier, verrier, tailleur de pierre ou maçon : chaque métier a ses propres maîtres, mais aussi sa propre corporation. Véritable tremplin social, ces dernières assurent travail et protection à vie. Le guet (1) n’a pas encore annoncé le début de la journée de travail, que les bourgeois se pressent déjà autour des murs de l’enceinte qu’ils sont chargés d’ériger – à leurs frais – par le roi Philippe Auguste, parti en croisade depuis le 4 août 1190.


Avec l’argent des bourgeois, plus l’enceinte prend forme, plus « les faubourgs tendent à se rejoindre, [...] les rues se tracent et relient les unes aux autres les routes voisine »*. Grâce au roi qui a fait paver les routes en 1185, nous voilà déjà devant le chœur de la cathédrale entourée de ses deux nouvelles nefs, tout juste terminées. Sur le chantier, il faut se hâter d’aller relever mesures et dessins auprès de l’architecte, puis de récupérer marteaux et burins. Facile à dire, mais tout est dangereux sur le chantier. Les forgerons

« répandent des étincelles de feu pour affûter herminettes, bisaiguës, ciseaux, qui deviennent plus efficaces dans la main des hommes »**. Puis, il faut aussi éviter les poulies tendues.


SAVOIRS ET TRANSMISSIONS


Un nouvel apprenti de 12 ans est laissé au maître par ses parents contre une rente, élevée pour que sa formation soit courte. Le maître rappelle : dans ces groupes règne le communautarisme. L’enseignant engage sa responsabilité intellectuelle et livre ses secrets dans les loges, on ne change donc pas de métier. Un jour, ce domestique (2) transmettra peut-être aussi son savoir en devenant maître... Mais, ce destin est souvent réservé à ses héritiers. Étape obligatoire de la formation : un groupe d’ouvriers prend la route pour étendre son savoir-faire sur d’autres chantiers.

Certains construisent les fondations du grand portail principal, d’autres préparent le mortier, pour que les derniers scellent les pierres des volutes, qui « s’élèvent un peu plus près de Dieu à chaque coup de bras d’un ouvrier »**. Puis, ils vérifient la verticalité et l’horizontalité des parois à l’aide du niveau et du fil à plomb. Ces formations développent aussi le sens créatif. Un tailleur de pierre choisi parmi les plus habiles, sculpte sur un chapiteau des feuilles « superbes d'ampleur et de vie, se roulant [...] comme les belles crosses de fougère qui sortent de terre au printemps »***. Chaque pierre ou charpente porte le signe personnel de celui qui l’a façonnée : un chiffre, une lettre, un dessin géométrique.

À l’heure où les vêpres sonne la fin de la journée de travail, cette marque de tâcheron permet d'identifier l'ouvrier responsable. Dans une cohue générale, tous s’amassent devant la loge de l’architecte qui les rémunère. Si les portes de la ville sont désormais fermées grâce aux enceintes du roi, l’obscurité est dangereuse, avant que ne tombe la nuit, hommes et femmes ouvriers « partent en groupe vers leurs cayennes (3) »**. Demain matin, aux premières lueurs, ils retrouveront leurs œuvres.


Légende

(1) Guet : surveillant de nuit. (2) Domestique : statut de l’apprenti durant sa formation. (3) Cayenne : chambre ou maison d'accueil du compagnon. ** Loisir et travail du Moyen Âge à nos jours, Benigno Cacérès. *** La flore gothique, ses origines, son évolution, du XII auXV siècle, DeniseJalabert.


Marque de tâcheron retrouvée sur une des tours du Louvre médiéval.

~ Compagnons du Devoirs, ~

héritiers des ouvriers-maçons


Il semblerait que ce mystérieux groupe soit apparu au XIIe siècle avec le “compagnonnage” — mais il ne devient officiel qu’au XIXe siècle. Certaines traditions sont encore perpétrées, telles que les trois états : apprenti, compagnon et maître. Structurés selon un ensemble de règles, de coutumes et de rites, ils voyagent à travers l’Europe afin de parfaire leurs techniques. Au Moyen Âge, ils profitent de certains avantages : ils se protègent les uns les autres, fournissent les outils de travail, logent les apprentis et jouissent de l’assurance d’être employé. Par ailleurs, les journées sont organisées au rythme du soleil, donc plus longues l’été que l’hiver. Rémunérés à la journée, à la pièce ou au forfait, les ouvriers reçoivent parfois une gratification à la fin du travail. Enfin, tenant compte des jours de chômage consacrés à la célébration de fêtes et les week-end non-travaillés, la charge de travail de l’ouvrier du Moyen Âge semble moindre par rapport à celui de l’ère industrielle du XIXe siècle.

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